Notre personnalité a une atmosphère. C'est un peu comme la musique d'un film. Dans chaque film il y a une musique de fond, mais en général on ne la remarque même pas. Pourtant, elle est là, et elle crée l'ambiance. Eh bien, notre âme a sa musique de fond. C'est le climat affectif de notre être. Cette atmosphère affective va déterminer notre humeur et notre conduite. Il est sage de la prendre au sérieux.
Heureusement, on n'est pas démuni à cet égard. Ici, il faut que je vous parle de Gianfranco. C'est un ouvrier italien d'une qualité humaine exceptionnelle. Un homme toujours de bonne humeur, généreux, solidaire, amical. Un être lumineux. A l'époque dont je vous parle, il était passé par une succession de malheurs difficilement supportables, mais dont il était toujours sorti avec un ressort étonnant. Un jour, où il venait de vivre une épreuve particulièrement dramatique et où il était venu prendre un verre au bistrot comme d'habitude, un de ses amis, frappé par cette joie de vivre plus forte que tous les coups du destin, lui dit : « C'est pas possible que tu aies encore le moral après ce qui t'est arrivé. Tu dois avoir un truc ! » A la surprise générale, il répond : « Bien sûr que j'ai un truc ! » - « Ah oui ? Lequel ? » - « Tous les matins et tous les soirs, je me regarde dans le miroir, droit dans les yeux et je prononce à haute voix : « Gianfranco, j' t'aime bien ».
Il a ensuite expliqué que des fois il disait plutôt « je t'aime » et qu'il lui arrivait de terminer en adressant à l'Autre, qui le regarde depuis le miroir, un clin d'œil complice. Et, a-t-il ajouté, la connivence est formidable, « parce qu'il me répond toujours lui aussi, au même moment, par un clin d'œil ».
Cela peut paraître idiot. Mais cet homme très simple a instinctivement compris une loi psychologique importante. Il a senti qu'on peut créer une atmosphère dans sa personnalité en cultivant un sentiment, et qu'on peut nourrir un sentiment par la parole et le geste. Quand vous prenez un médicament psychotrope, vous agissez sur le cerveau. Eh bien la méthode de Gianfranco agit aussi sur le cerveau. Elle crée un échange complice, donc harmonieux, entre deux couches cérébrales, entre le Moi, dont le siège est dans le cortex, et des éléments de ce qu'on appelle le système limbique, c'est-à-dire une partie située dans la zone sous-corticale, et que nous avons en commun avec les animaux inférieurs. C'est le siège de la vie émotionnelle primitive : agressivité, désir de jouissance, panique, etc. Cette base émotionnelle est comme un bébé ou un animal. Elle a terriblement besoin de caresses sécurisantes. La phrase de Gianfranco est une caresse verbale qui crée dans ce tréfonds un sentiment de confiance, de sécurité, de paix.
(Claude Piron)